lundi 20 avril 2015

La rec #LGBT du mois par Shinrin

Ils pullulent dans les librairies, ces romans de « chick lit » destinés à la lectrice jeune active ou étudiante mais encore pleine d’attentes et de rêves et d’envie de ne pas tomber dans le cliché bridgetjonesque de la « fille trop romantique qui lit des Harlequins ». On les connait tous, ils ont des couvertures pop et colorées et ils se lisent comme on déguste un plaisir coupable, une boite de chocolat, un épisode de Sailor Moon.

Mais, me direz-vous, on est un certain nombre à pas les aimer. Que vous ne sentiez pas concerné par les 200 pages de commentaires sur le beau Marc (vous auriez préféré que ça parle du regard pétillant de Sarah) ni les fermes abdos de Brandon (ceux de Cindy paraissaient avoir plus d’attraits), ou que vous n’ayez pas besoin de profiter de dissertations sur les dernières trouvailles make-up/shopping (se vêtir en 3suisses, ça revient quand même moins cher qu’un full D&G)… vous n’avez jamais eu l’envie d’en ouvrir.

Halte à la discrimination ! Je rêve d’un monde où tous les lecteurs pourraient déguster une littérature au style dynamique, moderne et drôle, renvoyant à notre quotidien de façon ludique et légère, sans avoir l’impression qu’on s’adresse en fait à la lectrice d’en face et pas à VOUS.
Eh bien bingo ! Enfants de l’arc-en-ciel, j’ai ce qu’il vous faut !

Le roman qui va nous occuper aujourd’hui se propose de nous plonger dans le monde étrange de l’hétérosexualité (sisi). Ca commence cependant en parlant de tout à fait autre chose : Basile, journaliste trentenaire de son état, à tendances drama queen, essuie les plâtres après qu’un de ses écrits parodiant ses collègues « uniquement pour des amis »  ait malencontreusement fait le tour de la salle de rédaction. Par un enchainement de circonstances guidé par l’esprit vengeur des dits collègues, le voilà chargé du dossier que personne ne voulait récupérer : une enquête sur « les pédés ». Parce que ça fait vendre.

Suivent des heures noires pour notre héros, que n’importe quel gay ou lesbienne discret (non, j’ai pas dit au placard, juste, bon, discret, quoi) n’aura pas grand mal à saisir : ….hein ? mais pourquoi moi ? ils doivent se douter de quelque chose ! que faire ?? …et autres tourments. Cependant, malgré sa crise existentielle, il faut se mettre au boulot !

Bien qu’il ne soit pas détective privé, Basile va se lancer sur la piste des nouveaux homos mais surtout, s’interroger sur le prince-charmant et se trouvé confronté à un très large choix d’hétérosexuels : sa collègue, sa sœur, la meilleure-copine-du-prince-charmant, ses parents, mais surtout le légendaire couple hétéro lambda  ayant déjà quelques années au compteur, à mesure que les déboires de son pote maqué-avec-la-reine-des-glaces vont affecter la vie de notre Basile.
Au gré de chapitres courts et percutants, le roman se développe sur trois parties, comme autant de nouvelles, à mesure que le focus de la vie de Basile glisse d’un sujet à l’autre. Cependant, la thématiques centrale reste celles des considérations sur la vie qu’on soit homo ou hétéro, le coming-out, le masculin/féminin, la famille, la fidélité, la guerre des sexes. Au gré de saynètes irrésistibles, ajoutez des incompréhensions, des clins d’œil, de bons moments d’embarras, de grosses paniques, énormément d’humour, et vous obtiendrez un ouvrage attachant et drôle.
Que vous soyez de ces « nouveaux homos » ou de ces « amis hétéros », je vous mets au défi de ne pas identifier, au travers des scènes dépeintes en ces lignes, des couples de votre entourage, des amis…. ou même juste vous. Car finalement, ces chroniques d’un point de vue « extérieur » nous amènent surtout à réaliser qu’homo-hétéro, même combat, mêmes doutes, et (presque) mêmes interrogations…
….Hmmm, je donnerai peut-être sa chance à la chick litt, une prochaine fois, finalement…

Extraits pour se donner une idée :

Peut-être est-ce lui qui se monte la tête, peut-être Bahu ne le visait-il pas particulièrement ? Le simple fait de traiter le sujet ne le fera-t-il pas ? Tous ces gens qui liront ça et feront des déductions. Des déductions ? Même pas, la chose sera évidente. Six pages sur les boites gay. On pourra le dire, ce sera signé.
Perdu dans la mer agitée de ses peurs, Polson s’assoit à son bureau.
- Qu’est-ce que c’est que cette gueule ?... Tu t’es fait enculer ou quoi ?
Quelle horreur, qui a dit ça ? D’où vient cette voix qui a dit ce qu’elle a dit ? Le cauchemar continue. Basile lève la tête. Catherine Zelda, sa voisine, assise à sa table de travail à elle, collée contre la sienne, le regarde avec les yeux fixes, elle attend qu’il réponde à sa question. C’est atroce ! Pourquoi lui demande-t-elle ça ? Pas Catherine, pas elle, une fille si fine, qu’il aime tant. Ca doit être une blague, ils s’y sont tous mis, un monstrueux bizutage, un mauvais rêve. Sortir de ce trou noir ! sortir ! Elle a déjà répété :
- Holà, Babaz ! Youhou ! Réveille-toi ! Je te demande si tu t’es fait en-gueu-ler ? T’es bourré ou t’as un tympan hors service ?


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3 mn 17… 3 mn 18 … 3 mn 19 (oui, 3 mn 19, c’est dimanche, il y en a un peu moins). Schbaouuuuuummmm ! Un 747, sans doute, ou un Airbus A-320. Quelle importance ? A Châtillon on ne lève plus la tête pour les avions, on passerait sa vie chez le kiné. Basile, on sans difficultés, après s’être retrouvé pile en face de la centrale électrique, puis avoir fait un bout de chemin avec un papy charmant qui allait acheter des news au Mondial Pékin, a fini par trouver le chemin du lotissement Grand Siècle et l’allée Montespan (« c’est simple, a dit le papy, Montespan, c’est pile derrière le Roi Soleil »). Ça y est, il reconnait, le jardin entouré de troènes, les chiens assis sur le toit, c’est là, la large façade blanche, la cuisine que l’on aperçoit. Il sonne, rien ne se passe. Il pousse la grille, un petit garçon, de dos, joue dans le jardin :
- Bonjour petit Raymond – c’est un nom absurde pour un enfant. Rose-Anne la femme de Guillaume avait d’abord pensé à Marcel, qu’elle trouvait très sympa, mais qui était redevenu horriblement commun, c’est simple, il suffisait de regarder les faire-part dans les journaux, tout le monde s’appelle Marcel Elle avait alors opté pour Raymond – bonjour mon Rayray !!
Basile se penche pour embrasser l’enfant, qui, après un mouvement de recul, le regarde d’un air ahuri et se décide à retirer de son oreille une boule Quies :
-Bon-jour Ray-mond ! hurle Basile, que le passage du dernier avion a lui-même rendu sourdingue.
- Mais je m’appelle pas Raymond !
-Ah, je suis bête, je me trompe toujours, dans ton prénom, tu es – il allait dire Monique, la petite sœur de Raymond s’appelle Monique, c’est une tendance. Non, cet enfant n’est sans doute pas une fille, d’ailleurs Basile voit qu’il joue avec des petits robots.
- Je suis Quentin. Si c’est Raymond d’à-côté que vous voulez, c’est là.
Il désigne la maison voisine.
C’est fou, dans cet endroit, songe Basile, non seulement ils ont les même baraques, mais ils ont les mêmes gosses. Il est vrai aussi qu’avec les enfants en général, Basile est comme les Pères Blancs avec les indigènes : plein d’un amour généreux et désintéressé pour l’ensemble du genre, infoutu de savoir les distinguer en particulier.


François Reynaert, Nos amis les hétéros, Nil Eds, 2004
ISBN     2841112780

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