samedi 20 juin 2015

La rec #LGBT du mois par Shinrin


En découvrant la couverture d’Un mariage à la Mode, je vous avoue, je pensais tomber sur un pamphlet ante-François-Hollande, un cauchemar christineboutinesque, bref, un ouvrage traitant du fameux mariage pour tous. ….
Que nenni, si épousailles il y a dans ces pages, elles sont hétérosexuelles. Mais ? Mais enfin, Squee, que vous arrive-t-il ? Je vous rassure, il y a une astuce…
Le roman est narré à travers la voix de Phil Cavanagh, jeune gay raisonnable, ayant les pieds sur terre, bien de sa personne, mais…. affublé d’un ami/ex nommé Gilbert. Notre dit Gilbert est un aspirant-écrivain beau, dragueur, élégant mais surtout d’une inconscience et d’une légèreté qui s’accommodent mal de sa guigne intersidérale. (C’est le genre de meilleur ami que vous êtes obligé de sortir de prison après avoir nié le connaitre pendant 10 bonnes minutes.)
Conséquence directe de ces divers traits de personnalité, Gilbert est très régulièrement fauché comme les blés, ce qui n’a rien de surprenant dès lors qu’on apprend qu’il est new-yorkais. Là où les ennuis commencent, c’est que Gilbert a une conception bien à lui du rêve américain…. et que son dernier projet en date inclut une Garce nommée Moira.
C’est bien simple, entre ces deux-là, le coup de foudre a été réciproque, quoi que pas tout à fait du genre romantique. Non, si les deux zozos viennent de décider de se marier, c’est qu’ils ont dans l’idée d’en profiter pour escroquer leurs deux familles de dizaines de milliers de dollars au passage (suffisamment pour continuer une vie de farniente pendant quelques mois).
Bien sûr, Phil, et sa meilleure amie Claire, se trouvent bien malgré eux pris dans la combine, embarqués dans la préparation d’une gigantesque farce qui tient rapidement du périlleux numéro d’équilibriste. Oui, car on ne vous a pas dit ? La famille de Gilbert présentes de similitudes confondantes avec celle de Gros Tony, tandis que celle de Moira est dirigée par une matrone pingre qui préfèrera vous couper les doigts plutôt que de placer une pièce de 50 cents dans votre main tendue.
Et si ce n’était que ça… Mais les apprentis-arnaqueurs/futurs-mariés ne vont pas non plus aider à ce que tout roule, et pourtant, face à l’adversité, le duo démoniaque ne recule devant rien, motivés qu’ils sont par l’appât du gain !
Avec tous ces éléments, la préparation du mariage, on s’en doute, ne va pas être de tout repos. Cependant, le lecteur, lui, savoure les commentaires horrifiés ou désabusés de Phil, et attend avec un plaisir (presque sadique, avouons-le) la prochaine complication qui tombera sur le coin du museau des conspirateurs, tout en se demandant si tout ça peut réellement se finir sans trop de casse.
Mensonges, arnaques à tous les étages, coups bas entre amis et répliques au vitriol, ce roman vous embarque pour une aventure qui a tout du vaudeville à la Broadway : moins de cascades que dans Ocean’s Eleven, mais beaucoup plus de grands sourires en coin. C’est insolent, c’est inconvenant, ça se lit tout seul, ça sent bon l’Amérique des comédies musicales et c’est idéal à déguster calé dans un Chesterfield avec un mug de café noir. En gloussant.
En résumé, un roman à savourer avant de se rendre au vin d’honneur de la cousine Sarah ou après avoir fini de s’arracher les cheveux sur le plan de table pour le dîner du mariage. Juste pour relativiser un peu.


Extraits pour se donner une idée :

Le plus étonnant, quand je me remémore cette abominable histoire, c’est que je n’eus pas le moindre pressentiment lorsque j’appris le projet de Gilbert. Je ne blêmis, ni ne tremblai, ni ne m’engouffrai dans la première cabine téléphonique venue pour m’enquérir des prochains charters pour les Canaries. L’écran de mon radar, si sensible pourtant dès qu’il s’agit de ce garçon, resta désespérément vide. Il faut dire que j’assistais ce soir-là à un vernissage où la piquette que l’on sert vous joue parfois des tours pendables.
La Concepteria (sur West Broadway, dans SoHo) faisait partie de ces audacieuses galeries expérimentales qui ont pour principe que rien n’est invendable puisque tout est beau. Sous le titre de Sacs n°3, elle présentait donc les œuvres d’un nommé Aldo Cupper, artiste obscur et ce pour de bonnes raisons : des formes humanoïdes modelées à partir de sacs poubelles vert foncé remplis de ce que la brochure qualifiait pudiquement d’ « objets trouvé » et relève d’ordinaire d’autres appellations non contrôlées. Mr Cupper se propulsait allègrement d’un groupe à l’autre afin d’expliquer comment il « transfigurait l’inconsommable », et moi je manœuvrais savamment pour toujours garder au moins un groupe d’avance sur lui.
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« Pour que ça marche, il suffit de raconter partout qu’on a eu le coup de foudre. Les gens penseront peut-être qu’on est dingues, mais c’est pas grave du moment qu’ils nous croient sincères. La sincérité, tout est là. Et comme tu es le spécialiste mondial des sentiments sincères, on a pensé que tu…
- Stop, on arrête tout. »
Nous étions maintenant installés à une table d’angle du Canard Plaqué, une grignoterie à la mode sur Colombus Avenue, car Gilbert et moi avons pris la bonne habitude de rentrer dans l’Upper West Side, où nous habitons, avant que l’heure ne soit trop avancée ou nos neurones trop peu performants. Quiconque a une fois dans sa vie pris le métro vers Uptown avec un Gilbert ivre qui chuchote des « Oh, les beaux anges ! » en regardant droit dans les yeux le gang de Chicanos assis en face comprendra cette sagesse.
« Pas question de me laisser embarquer dans un coup tordu sous prétexte de confidences, déclarai-je d’un ton ferme. 
- Du calme ! Je ne t’ai même pas dit de quoi il s’agit.
- Vas-y toujours, soupirai-je.
- Bon… il y a trois semaines, je suis allé au mariage de la grosse Steffie, la nièce de mon beau-père. Je t’ai déjà parlé de cette branche de la famille ?
- Je sais qu’ils sont italiens, et très nombreux.
- Tu peux le dire. Quand ils se réunissent, il faut au moins louer Rhode Island. Ils sont très unis, très vieux style : des veuves en noir grosses comme des tours, et des saints de plâtre dans tous les coins. Bref, j’avais reçu une invitation pour deux personnes, et vu le genre du faire-part, impossible d’emmener un de mes minets. Alors j’ai pensé à Moira. Ne fais pas cette tête ! Aucune de mes amies n’était libre. J’avais même demandé à un transsexuel des plus discrets. Rien à faire.
- Moi, j’aurais tout annulé plutôt que d’avoir à faire à Moira.
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Joe Keenan, Un mariage à la Mode, 10/18, 2004
ISBN 2 264 02261 2

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