jeudi 20 mars 2014

La rec #slash du mois par Taraxacumoff


Dans la grande catégorie : Je suis une maniaque du bouquin et je cherche à contaminer le maximum de personnes avec mes auteurs fétiches, laissez moi aujourd’hui vous parler de Joseph Hansen et de son héros, Brandstetter. Dave Brandstetter est entré dans l’histoire du polar comme le premier détective gay de la littérature, ou plutôt comme l’un des premiers en comptant son contemporain, Pharoah Love, de George Baxt et si vous vous attendez à une créature androgyne aux enquêtes dignes de Oui-oui et la voiture jaune manquante, prétextes grossiers pour tout amateur de roman policier, résolues dès la page 27 et prélude à 168 pages de sexe…vous allez être surpris !

Avec une première enquête publiée en 1970 (Fadeout, traduit en France en 1971 dans une version expurgée sous le titre d’Un blond évaporé, puis derechef sous le titre Le Poids du monde, en 2000, cette fois ci en version intégrale), le personnage a eu une brillante carrière de détective. Notons que contrairement au classique détective privé, comme l’ultra célèbre Philip Marlowe, archétype du genre depuis le chapeau mou à la mine désabusée en passant par le whisky et les femmes fatales, au flic fatigué généralement divorcé et plus ou moins dépressif ou au plus moderne médecin légiste, l'enquêteur bosse ici dans les assurances et cherche à savoir si les bénéficiaires de la prime d'assurance vie de la victime ne sont pas ceux qui lui ont brisé le coup comme à un poulet.
Ce qui est intéressant, ce qui m’a le plus plu dans ces romans et donné l’envie de les faire découvrir, c’est que Dave Brandstetter est un vrai personnage, complet, qui n’est pas défini par sa sexualité.
J’ai toujours trouvé dommage les créatures de papier monolithiques qui étaient la caution gay d’une œuvre, faisaient l’objet de six lignes histoire de dire, ne participaient pas du tout à l’intrigue et se réduisaient finalement à leurs préférences sexuelles montées en épingle. Ce n’est pas du tout le cas de Brandstetter : il préfère les messieurs mais c’est l’une des choses qui le définit, pas la seule. Ce détective vieillissant, admettant lui-même que courser les suspects commence à devenir un souci, est profondément humain, toujours prêt à poursuivre l’enquête jusqu’au bout :

«  -Le lieutenant...
- Barker, Ken Barker.
- Il avait l'air de connaître son métier. Vous revérifiez toujours derrière lui?
-Il est débordé, dit Dave. Il ne peut consacrer qu'un temps minimum à chaque affaire. Los Angeles est remplie de gens qui se tuent les uns les autres. Ça arrive tous les jours. Parfois deux fois par jour. Il doit constamment passer à l'affaire suivante. Moi pas. »

A fleur de peau, (Skinflick, 1979)

…d’ailleurs aidé en cela par le fait que Papa Brandstetter  a fondé l’une des assurances en question et que si son rejeton veut prendre sur son temps pour chercher une personne en danger, qu’elle sache quelque chose pour l’enquête ou pas, ce n’est pas la nécessité de faire bouillir la marmite qui risque de l’arrêter.
Le fait que le personnage soit aussi plus âgé le rend d’autant plus intéressant et complexe: nous le rencontrons en deuil de son compagnon de plusieurs décennies et au fil de la série, le lecteur le verra faire des rencontres, avoir des coups de cœur, faire son deuil et pouvoir de nouveau s’attacher, sans que cela devienne des bluettes sentimentales pour autant : Joseph Hansen écrit des polars, des vrais, répondant au canon du genre, et démêler meurtres, faux suicides, vrais suicides et autres joyeusetés témoignant de la facilité de l'espèce humaine à trucider son prochain contre monnaie sonnante et trébuchante, ne situe définitivement pas le détective du côté naïf de la vision de l’existence.

Ça donne des choses dans ce goût là :
« Vous ne voulez pas que je vous laisse un homme ici? Pour vous protéger?
-Si vous avez oublié, fit Dave, moi pas. Les gens qui essayent de me protéger, on leur tire dessus. Joey Samuel n'a toujours pas repris son travail, n'est-ce pas?
-Il le reprendra bientôt, dit Barker. Cessez de vous sentir coupable. Ce n'était pas de votre faute. Il faisait son devoir. Ce sont des choses qui arrivent aux policiers. Ils le savent. Ils sont fatalistes. Ça limite le nombre de leurs amis. Seul un flic peut comprendre. »

Obédience (Obedience, 1988)

Ou alors dans ce gout là :
-Tu as l'air fatigué.
- Les rencontres répétées avec de braves gens, simples, normaux, qui s'entretuent pour de l'argent, il y a de quoi être usé après dix ou vingt ans.
Le noyé d’Arena Blanca (Death Claims, 1973)

Le lecteur se prend vite d'affection pour ce vieux briscard fatigué qui continue de trimer pour rendre justice aux morts, pour ces intrigues bien construites et s’aperçoit tout d’un coup qu’il a dévoré le roman jusqu’à la dernière page, histoire de connaître le coupable, et qu’il a désormais envie de retrouver Dave Brandstetter dans d’autres enquêtes !

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